Interview avec Dr Philippe Oudar, médecin nutritionniste
Dans une époque où les sollicitations alimentaires sont nombreuses et où les régimes « clé en main » pullulent, il est parfois difficile de distinguer le vrai du faux, l’utile du superflu. Titulaire d’un D.I.U. d’Alimentation santé et Micronutrition et d’un D.U. de Diététique et de Nutrition Clinique et Thérapeutique, Dr Philippe Oudar maitrise toutes les facettes de la nutrition : Du rééquilibrage alimentaire aux problématiques de surpoids et d’obésité, qu’il traite avec humanisme et professionnalisme depuis plus de vingt ans. Dans cet entretien, il nous livre des conseils pratiques, son approche de la nutrition, comme les nouvelles armes thérapeutiques dont dispose désormais le corps médical pour traiter le surpoids sans chirurgie bariatrique. Un échange aussi instructif que passionnant pour conjuguer plaisir et santé !
Quelle est votre approche de la nutrition ?
J’aime souvent dire aux patients que j’accompagne en nutrition, que je dispose d’une trousse à outils : La problématique de chaque patient est un boulon de 10 et je dois trouver la clé de 10 ! Cela veut dire que l’on va personnaliser l’approche, répondre à la demande du patient.
Je ne suis pas là pour imposer des diktats, mais plutôt des conseils personnalisés et adaptés en fonction de la demande du patient : est ce une demande de perte de poids, d’amélioration fonctionnelle, de dysfonctionnement métabolique, comme l’hypertension ou le diabète…etc.
Des gens viennent aussi souvent me consulter pour des colopathies fonctionnelles ou des problèmes intestinaux, même si la majeure partie de ma patientèle demeure centrée sur l’amaigrissement. Dès lors que l’alimentation a son mot à dire sur une certaine pathologie, on pourra alors répondre à la demande.
Quels sont les principaux piliers d’une alimentation équilibrée pour rester en bonne santé ?
En premier lieu, un apport hydrique et de fibres suffisant, car le maitre mot d’une alimentation équilibrée est aussi une alimentation diversifiée.Si vous prenez des légumes qui sont pourvoyeurs de vitamines et de sels minéraux, un seul légume ne pourra pas tout apporter. Par exemple on trouve du lycopène dans la tomate, du bêta carotène dans les carottes, de la vitamine B dans les légumes verts…etc. Diversifier chaque catégorie alimentaire, puis dans chaque catégorie alimentaire diversifier sont les clés d’une alimentation équilibrée, articulée autour des trois piliers suivants :
Le premier pilier est un bon apport en protéines, ce que l’on oublie souvent; en particulier avec cette nouvelle tendance du véganisme , qui ne peut répondre aux besoins en protéines, car c’est mathématiquement impossible, à moins d’absorber des kilos de lentilles, pois et quinoa !
L’apport en protéines est absolument essentiel à tous points de vue sur le plan santé comme celui de la perte de poids, car on ne peut pas maigrir sans apport en protéines.
Deuxième pilier, c’est ne pas dépasser un certain quota de graisses. Normalement on ne doit pas aller au delà de 30% d’apport calorique sous forme de graisses.
Le troisième pilier c’est limiter les apports en sucre, qui est devenu la grande plaie de l’alimentation moderne, la consommation a explosé !
Je vais vous donner un chiffre : En 1900, on consommait 2kg de sucre par personne et par an. Aujourd’hui, les chiffres nous donnent 35 kg de sucre par personne et par an, c’est délirant. Avant les Kinder et les sodas n’existaient pas ! Sucreries, boissons gazeuses sucrées, desserts industriels, ce sont les principaux problèmes de l’explosion du poids dans le monde entier.
Les gens qui grossissent car ils ont mangé trop de tartiflette ou de choucroute, c’est plus rare !
Quand doit-on consulter un nutritionniste ?
Même si on me consulte essentiellement pour la perte de poids, je dirais dans tout cas où l’alimentation a son mot à dire, car « L’alimentation sera ta première médecine » dixit Hippocrate. Par exemple si vous avez la peau sèche, observez fréquemment des problématiques de constipation ou des mycoses vaginales, cela peut venir aussi de la nutrition. Après, on ne peut pas tout résoudre, on ne peut pas tout soigner avec la nutrition, or on peut toujours apporter quelques améliorations.
Et plus spécifiquement sur la perte de poids ?
Ce qui est un peu dommage, ce sont les gens ayant suivi des régimes tels que « WeightWatchers », « Natur House », « Comme J’aime » …etc et puis à la fin, ils se disent « maintenant je vais consulter un médecin nutritionniste , je vais faire un truc sérieux ! «. J’aurais tendance à dire qu’il vaut mieux pour vous commencer tout de suite par le truc sérieux et pas chercher à faire du du bric à broc !
Dans cette démarche, il faut bien se dire qu’il n’y a rien de facile. Une prise de poids, c’est une pathologie, donc qui dit pathologie, dit médecine.Par exemple, à part des farfelus, vous n’allez pas traiter votre diabète seul ! Là c’est pareil, les gens essaient de traiter une pathologie, mais essaient de la régler tous seuls. Le problème est que ceux ayant entrepris ces démarches, ont déjà avancé dans le sens où ils on pris 15 à 20kg. Si ils étaient venus avec 5kg de trop, comme une patiente après une grossesse, à laquelle il reste 4-5kg à perdre, par exemple : si cette patiente consulte un médecin nutritionniste rapidement, elle perdra dans un délai court ses kilos, car on ne va pas faire n’importe quoi !
Votre avis sur ces régimes « clé en main » ?
En toute objectivité, WeightWatchers c’est pas mal quand vous avez moins de 10kg à perdre. Vous avez une prise en charge , des conseillers, leur programme n’est pas du tout farfelu, basé sur l’équilibre alimentaire. En revanche, dès que vous avez plus de 10 kg à perdre, c’est médical. On entre sur un autre terrain.
Quels conseils donneriez-vous pour adopter une alimentation saine sans ressentir de frustration ?
Aujourd’hui, on aborde une approche traditionnelle mais moderne de la nutrition, à contrario des régimes des années 70/80 où tout était basé uniquement sur l’interdit.
J’aurais plutôt tendance à dire « il n’y a rien d’interdit ! ». Cependant, ce qui est interdit, c’est plutôt un comportement. Par exemple si je mange un gratin dauphinois un mardi soir tout seul devant ma télé, cela n’a pas de sens ! Comme sur la route, on doit observer des limitations. Il y a des moments où on peut se faire plaisir, d’autres pas. Pour ne pas être frustré, il faut accepter les limitations mais cela autorise des moments, où l’on peut aussi se faire plaisir. Le dimanche, on est en famille et on fait un gâteau, je dis oui ! Faire un gâteau un lundi midi tout seul, je dis non !
Quelle est l’importance de l’index et de la charge glycémique pour la gestion du poids ?
C’est un élément important qu’il faut savoir analyser et maitriser, c’est une notion qui rentre en ligne de compte. Dans le cadre d’un suivi nutritionnel, on doit savoir analyser les aliments ayant une charge glucidique plus importante que les autres. Par exemple, le pain blanc représente en charge glucidique la valeur de 15 morceaux de sucre pour 100grammes ( 1/2 baguette).
Sur un pain complet ou un pain aux céréales, qui aura la même valeur calorique, en terme de charge glucidique, on aura 5 morceaux de sucre; on observe donc une vraie différence et qui est loin d’être négligeable !
Les erreurs à ne pas commettre pour perdre du poids durablement ?
Ne pas franchir les limites, savoir adapter son comportement aux circonstances, c’est déjà une chose importante. Aussi et sans doute la plus importante , lorsque l’on perd du poids, il faut partir du principe que l’on va en reprendre, car c’est physiologique de reprendre du poids après en avoir perdu. C’est à dire qu’une fois qu’on va perdre du poids, on surveillera en permanence la reprise. La reprise sera là un jour ou l’autre, parce que vous aurez fait un excès à Noël, vous serez parti en vacances avec un peu d’apéros…etc ! La prise de poids sera facilitée par le fait que vous en ayez perdu.
Rappelons ici que nous sommes dans une perte de poids au delà de 10 – 15kg, donc nous sommes dans le médical. Cela signifie que nous sommes dans la chronicité, car c’est une maladie chronique. Nous aurons des récidives et nous devons savoir les anticiper.
Concrètement, si on perd 20kg et que l’on en reprend 5, on doit alors de nouveau consulter.
Dans l’idéal, des gens viennent me consulter après une prise de poids souvent due à des excès . Après un rééquilibrage alimentaire, nos patients apprennent des choses et les appliquent, mangent équilibré et perdent des kilos.D’autres n’ont absolument pas conscience de ce qu’il font, comme cuisiner des épinards avec une plaquette de beure entière par exemple …! Un médecin nutritionniste peut donc rééduquer réellement le patient sur ce type de comportement alimentaire et le patient s’améliorera naturellement.
En tant que médecin, quelles sont les armes thérapeutiques dont vous disposez pour la perte de poids ?
Aujourd’hui, nous disposons de trois solutions médicales :
La chirurgie qui reste la méthode la plus efficace pour les personnes ayant un IMC supérieur à 35, ce que l’on appelle l’obésité de stade 2, selon la classification de l’OMS.
Le ballon gastrique, qui n’est pas pris en charge par la sécurité sociale, a une durée de vie de 1 an et nécessite deux anesthésies. Le tarif est assez onéreux d’environ 4 000 euros. Le prix varie également selon la clinique.
Aujourd’hui pour les IMC situés entre 27 et 35, nous disposons d’une arme thérapeutique, qui sont des médicaments analogues du GLP1, des injectables toujours utilisés dans le traitement du diabète et qui aujourd’hui sont autorisés pour le traitement du poids et de l’obésité.
Depuis le 8 octobre, nous disposons d’une molécule similaire à OZEMPIC, le WEGOVY qui donne des résultats vraiment probants. Avant son arrivée en France, nous avions depuis 2021 un médicament ( SAXENDA) , appartenant également à la catégorie d’analogues du GLP1.
En tant que médecins, nous avons observé d’excellents résultats, notamment sur des patients qui ne peuvent pas être candidats à la chirurgie, mais qui pourraient le mériter, car ils ont 33/34 d’IMC, c’est à dire 20 à 30kg en trop. Pour ces personnes, la chirurgie n’est pas prise en charge, or les régimes ne fonctionnent pas ou plus .Avec le WEGOVY, nous disposons d’une arme thérapeutique pour ces personnes en surpoids, dont les résultas sont parfois proche de ceux de la chirurgie.
Par exemple, j’ai suivi une jeune femme qui était à 130kg, après 6 mois de traitement et de suivi nutritionnel , elle est descendue à 97kg et a donc perdu 33 kg. Ce sont les chiffres que l’on obtient avec la chirurgie. C’est comme si on avait opéré, nous obtenons le même résultat. C’est donc très intéressant et ce n’est pas fini !
Outre des médicaments analogues au GLP1, vous avez également d’autres hormones, telles que la GPT. Toute la recherche actuelle joue là dessus avec des médicaments délivrant encore plus de puissance et qui devraient sortir d’ici une dizaine d’années.Nous disposerons donc probablement un panel thérapeutique qui sera relativement important, d’une réelle efficacité et l’on ne peut que s’en réjouir !